mardi 13 janvier 2015

Tuesday self portrait

Mon récit n'est déjà pas très clair, lorsque je vais lentement et que je m'applique; que serait-il, si je l'écrivais de plein jet ? Echevelé, incohérent. Moi, son père, je ne le reconnaîtrais plus pour mon fils. Il faut beaucoup de précautions pour une histoire où la mémoire a tant de part; le moindre désordre dans l'exposé des faits, et tout est perdu, il faut tout recommencer, ce dont je me garde comme du feu, car les secondes versions ne sont jamais les bonnes. Vous trouverez peut-être prétentieux mon souci de bien dire les choses secondaires, quand les plus importantes vont si mal; vous sourirez de me voir mettre mon orgueil à bien faire, lentement, ce que n'importe qui d'instruit ferait tout naturellement, en laissant courir la main; pourtant vous me comprendrez, en considérant que l'effort d'écrire presque sans arrêt depuis quatre mois n'a pas d'équivalent dans ma vie. 
Les choses ne sont jamais ce que nous les imaginons à première vue; il suffit parfois de les voir de près, de commencer à y travailler, pour y découvrir des aspects si étranges, si inconnus même, qu'ils nous font perdre jusqu'au souvenir de notre idée première; il en est ainsi des visages ou des villes que l'on imagine avant de les connaître, ils prennent en nous des formes bien vite effacées au contact de la réalité. Ainsi de ce papier lui-même; en huit jours, je pensais l'expédier, aujourd'hui -après cent vingt- je souris de mon innocence.
Camilo José Cela. La famille de Pascal Duarte

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