mardi 31 mars 2015

Tuesday self portrait

Il y en a qui sont signés par des écrivains qui ne purent recevoir aucun duché, aucune charge ni aucun titre du roi Felipe ni du roi Juan ensuite, parce qu'ils étaient morts prématurément, comme les jeunes suicidés Richard Middleton et Hubert Crackanthorpe. Le premier était un homme au grand talent revêche qui finit par se tuer au chloroforme à vingt-neuf ans, au numéro 10 de la rude Joncker de Bruxelles, en 1911, sans avoir encore publié le moindre livre (cela commença à se faire en 1912). De lui, l'archiduc Machen a écrit ceci : "Il était impatient, il ne voulait pas attendre, il ne pouvait pas se détendre… Je ne me rappelle pas l'avoir entendu rire; pas ouvertement ni généreusement, avec délectation… D'une façon générale, son humour était teinté d'amertume." Et selon un des contemporains qui l'avaient assez fréquenté, Middleton mit fin à ses jours par pure "haine de la vie", qu'il appelait "le mal intolérable". Près de la bouteille de chloroforme, il laissa une petite carte en travers de laquelle était écrite cette phrase : "Les esprits brisés et contrits, Tu ne mépriseras." Le second, d'un talent moindre, et réaliste, et d'un caractère plus paisible, se jeta pourtant dans la Seine en 1896, à l'âge de vingt-six ans, pour des raisons plus circonstancielles que de principe, après que sa femme fut partie avec un autre homme. Son cadavre ne fut retrouvé que des mois plus tard, et il était semble-t-il si défiguré que son frère ne put l'identifier que grâce à ses boutons de manchette. Ils étaient tous les deux très francisés, Middleton était un sectateur strict de Baudelaire, Crackanthorpe de Maupassant. A propos de la mort parisienne du dernier, un journal anglais alla jusqu'à affirmer que cela avait été "le châtiment de Dieu pour avoir adoré des idoles françaises".
Javier Marias. Dans le dos noir du temps

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