dimanche 31 mai 2015

L' enfance intemporelle

Au-dessus de ton bureau, les photos racontent ta vie sans moi. Une vie aux cheveux longs, aux tablées familiales, aux chiens immatures, aux parties de ballons. Les photos montrent les enfants,  ceux-là dont on est curieux de savoir ce qu'ils vont devenir, en oubliant parfois qu'ils ne cesseront jamais d'être, comme nous, toujours en devenir.

Quant à moi, revoyant récemment ma photo de C., je lui ai trouvée des caractéristiques génériques, je l'ai accrochée au studio en tant que Quintessence de l'enfance.  

samedi 30 mai 2015

Une enquête sentimentale

Avez-vous déjà reçu une claque ?
Pour quelle(s) raison(s) habitez-vous là ?
Les choses que vous attendez finissent-elles le plus souvent par arriver
ou 
pas ?
Votre famille a-t-elle (eu) beaucoup d'influence sur vos choix ?
Vous souvenez-vous plus souvent des premières fois
ou 
des dernières ?
Le mode de vie tribal vous a-t-il déjà tenté ?
Vous sentez-vous 
souvent
parfois
rarement
en décalage avec votre époque ?
Si oui, pourquoi ?
A quel âge avez-vous définitivement quitté le domicile de vos parents ?
A quel personnage de film vous êtes-vous identifié récemment ?
Êtes-vous d'un naturel enthousiaste ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 29 mai 2015

Le cabinet des rêves 229

M. et moi sommes à une table, dans une grande pièce.
J.M. la traverse et monte l'escalier qui mène à la sortie.
Il a deux enveloppes à la main, je sais qu'il y en a une à moi.
Je lui dis que je dois lui donner un timbre.
Non, non, ça va : j'en ai mis un à 68 centimes.

Rêve du 11 mai 2015

jeudi 28 mai 2015

Une addiction

partant, je laissai
plutôt qu'un mégot dans le cendrier
une cartouche d'encre, consommée.

mercredi 27 mai 2015

LA DOUBLE PEINE

Sur leurs bras, leurs jambes, leur torse, des arabesques, des dragons, des papillons, des fleurs. 
Nus, ils sont encore habillés, d'un textile à vie, à jamais, dont ils ne se lassent, dont ils ne se lasseront donc jamais ?
Sur leurs bras, leurs jambes, leur torse, le nom d'une ville, d'une équipe de leur sport favori, le nom de leurs parents, le nom de leurs enfants oui, souvent de leurs enfants. 
Sur son bras, le nom de son enfant et sûrement on lui demande souvent C'est le nom de ton enfant ? et il répondait Oui ! et maintenant, il répond Oui mais… , car son enfant est mort. 

mardi 26 mai 2015

Tuesday self portrait

A la sécheresse du ton s'ajoute un flot de paroles dont la syntaxe baroque me stupéfie. Les parenthèses se succèdent. Dans la quatrième, il introduit des restrictions, d'une part ceci, mais de l'autre cela, en se référant à une phrase dite ultérieurement, puis il revient à la troisième parenthèse : compte tenu que, vu ceci ou cela, suite à tel ou tel ordre, malgré que…, le Reichsführer SS et chef de la police allemande, car, d'ailleurs, ainsi, de sorte que, en outre, ce qui n'empêche pas que… et ainsi de suite dans des digressions sans fin. En fait, il voudrait résumer en une seule phrase l'histoire depuis 1933. Le plus surprenant, c'est qu'il ne semble avoir lui-même aucune difficulté à suivre le fil de son discours alors que tout le monde l'a perdu depuis longtemps. Il n'hésite jamais, ne se trompe jamais, avec des gestes décidés, armé de son stylo, il scande le rythme des parenthèses et fait la preuve de son étonnante mémoire. On retrouve chez lui le langage de la déclaration d'impôts et du procès-verbal, multiplié jusqu'à l'absurde. Ce langage, c'est le fascisme. 
Landau, les traits tendus, écoute. Aujourd'hui, il a décidé d'intervenir, et cela après une phrase comptant 250 mots (j'ai vérifié dans le protocole) : "J'aimerais dire à l'accusé que le style est une affaire personnelle; mais s'il veut que nous le comprenions, et je parle également au nom des juges, il devra faire des phrases plus courtes. Nous savons tous qu'en allemand le prédicat est placé à la fin de la phrase, mais là, le prédicat se fait vraiment trop attendre."
(…) Nous nous distrayons alors en passant en revue les expressions baroques typiques d'Eichmann. Il adore les superlatifs, par exemple, pour "D'aucune manière", il dit : "De la plus aucune manière."
Finalement, le lieutenant-colonel m'apprend qu'en Argentine Eichmann a écrit un roman de science-fiction. Quelle merveilleuse nouvelle ! 
Harry Mulisch. L'affaire 40/61. 

lundi 25 mai 2015

El caos es el orden (fragments d'insularité)

La vieille dame 
est vieille 
et seule 
et digne 
et solitaire 
et Américaine 
et peu bavarde 
et sur la vitre de sa porte d'entrée elle a écrit des slogans anarchiques 
et quand je la croise 
et quand je suis son pas lent 
et son dos voûté 
et sa démarche de monarque privé de sujets
, je me sens sur l'île d'Elbe.

dimanche 24 mai 2015

C'est alors même que tu

étais en train d'emplir nos tasses de café dans la cour que tu changeas d'avis et que tu m'emmenas en boire un en bord de mer et c'est alors même que nous étions en train de parler des boules de coton multicolores qu'on voyait dans les supermarchés dans les années 80 que mon humeur redevint sentimentale. 

samedi 23 mai 2015

Une enquête sentimentale

Vous est-il arrivé de retourner dans un de vos logements après avoir cessé d'y habiter ?
Mais qu'avez-vous fait de votre jeunesse ?!
Quand vous voyez, au cinéma, l'adaptation d'un livre que vous avez lu,
préférez-vous plus souvent le film ou le livre ?
Vous arrive-t-il 
souvent
rarement 
jamais
d'être surpris d'apprendre la mort d'une personnalité parce que vous la croyiez déjà morte ?
Si vous avez des enfants, en avez-vous choisi facilement le prénom ?
Si vous n'en avez pas, avez-vous, malgré tout, des idées de prénoms ?
Quand vous mangez, pensez-vous
toujours
rarement
jamais
à votre santé ?
Y a-t-il un endroit au monde où vous rêvez particulièrement d'habiter ?
Avez-vous déjà cassé un miroir ?
Vous est-il arrivé de prêter serment ?
Si vous en avez un, aimez-vous votre travail ?
ICI, des voix sentimentales


vendredi 22 mai 2015

Le cabinet des rêves 228

Ce rêve où il est le double de soi. Des personnages parlent auxquels répond une voix étrangère dont les mots s'articulent dans sa bouche sans souffle. Quelqu'un va disparaître, quelqu'un prend la relève, cherche une présence dans le noir confondu avec le murmure des parleurs. 
Un raisonnement qui s'impose par sa logique domine le murmure, égrène des vocables savants apparaissant écrits dans un livre compulsé avec fièvre. 
Le cauchemar est suivi d'images dissociées, tel élément de l'une surgissant dans la suivante, tel autre de la suivante dans la suivante… 
Il se réveille. 
Robert Pinget. L'ennemi
C'est la nuit. 
Je suis à vélo, je gravis une petit côte. 
Sur l'autre versant, de l'autre côté de la chaussée, il y a une voiture de police. 
Je vois que la femme en uniforme me désigne à son collègue et lui signale que je roule sans lumière. 
Je profite de la pente pour accélérer sans donner l'impression que je fuis. 
Comme je vois arriver, face à moi, deux autres cyclistes qui roulent, eux aussi, sans phare, je pense que, si les policiers décident d'interpeler quelqu'un, ce sera sans doute eux, par commodité. 

Rêve du 20 mai 2015

jeudi 21 mai 2015

L'âge des possibles

Depuis longtemps, il m'écrit, me parle de ses rêves, de Stockholm, de ses amis, d'Istanbul, de l'avenir, des filles, de ses lectures, de ses voyages, de Georges Perec, de Vienne, des filles, de Paris, de Paris la nuit, de l'amour, du désamour, de philosophie, du Laos, de sa famille, du goût des pizzas, de ses doutes, de Jim Jarmush, des filles, des films, de Julio Cortázar, de Montréal,  de la solitude, du goût de la solitude, de ses amis, du coeur qui bat, du passé, de nos prochaines retrouvailles, 
depuis longtemps, Robin m'écrit et 
maintenant, il écrit

"-Si seulement je pouvais choisir mon masque. Si seulement tu avais pu choisir le tien et eux le leur.
-Je n'aurais pas voulu de masque petit singe. Je n'aurais voulu qu'un plancher de bambou tressé dansant sur des tiges de bois, là-haut sur la montagne.
-Peut-être tu aurais pu me donner ton masque alors.
-Si tu voyais tes yeux, tu ne voudrais pas de masque petit singe. Tu ne voudrais que le chemin qui grimpe et serpente." Sa voix était douce sur les épaules de Nen.
"-Je ne veux plus être le seul sans le masque. Je ne veux plus les regards et les peurs. Je ne peux plus me serrer seul dans mes bras, c'est trop lourd, et les jambes ploient et je vais finir par tomber.
-Tu n'es pas seul sans le masque petit singe. Le roi non plus n'en a pas… Ni le Dragon ni le Bouddha. Rêve doucement." Il s'était détourné et était passé au travers de la maison miniature, sans ressurgir de l'autre côté, reparti dans une autre vie. 

Robin Trémol. La ville aux masques.

mercredi 20 mai 2015

Je vais 
chez le coiffeur
sans rendez-vous.


Et je pense à cela, en allant chez le coiffeur sans rendez-vous, je pense à ceux-là, en allant chez le coiffeur, à ceux qui s'y confient comme à un psy dit-on, au point que vous pourriez écrire un livre avec tout ce que vous entendez dit-on, leur dit-on aux coiffeurs alors que non, enfin si mais comme tout un chacun ni plus ni moins, après tout certains le font sans être coiffeurs, sans même avoir de talent car, après tout, ce qu'on entend pendant que les couleurs posent pendant que les tondeuses passent, ce sont les histoires de tout le monde, ce qu'on apprend c'est ce qu'on sait déjà, que les instants de bonheur sont souvent plus fugaces que le chagrin, que se marier signifie faire un plan de table, que les familles, même celles aux apparences les plus jolies, sont capables de coups bas et les psys à eux le leur dit-on, qu'ils pourraient écrire un livre avec tout etc et en allant chez le coiffeur sans rendez-vous, je pense à ceux qui et je me demande mais alors ? vont-ils chez le coiffeur dans le même état d'esprit que chez le psy et je me demande et moi alors ? mais moi non parce que je ne parle pas chez le coiffeur, il ne pourrait donc pas m'y arriver la même chose que chez ma psy.
-C'est étonnant, tout de même, cette personne qui s'exerce au piano chez vous toujours à l'heure de ma séance. 
-Vous pensez vraiment que quelqu'un joue du piano ici ?
-Ce n'est pas le cas ?
-J'aimerais beaucoup que Glenn Gould joue chez moi ! Enfin, si ça vous dérange, j'enlève le disque tout de suite. 

mardi 19 mai 2015

Tuesday self portrait

41 
Trouvé hier parmi les paperasses cette note fragmentée. 
Livre qui ne serait qu'un test de mémoire, celle du narrateur qui après des années cite les propos de différentes personnes sans les distinguer, et celle du lecteur lui-même s'il s'y prête. 
Jusqu'à quel point le vraisemblable peut se passer de vérité, jusqu'à quel point telle affirmation peut faire oublier celle qu'elle contredit. 
Nature plus ou moins policière du récit, songeant aux prodiges d'attention qu'il faut à un juge instructeur par exemple pour s'y retrouver dans l'embrouillamini des témoignages que contient le dossier d'une affaire pénale. 
De toute façon restera inachevé, marque distinctive. 
Quant au résultat du test, positif ou non il n'aurait rien à voir avec l'intérêt que prétendrait susciter l'anecdote, matériau brut nécessaire à une quête d'autre nature. 
Dessein disproportionné aux moyens disponibles. Les élargir. 
Obscurum per obscurius. 
Prudence s'impose. 
Aiguiser le jugement.  
Robert Pinget. L'ennemi

lundi 18 mai 2015

La surdité (fragments d'insularité)

Nous traversons les Pyrénées en direction de Aragón et, ensuite, jusqu'à Barcelone et l'île. Sur la route, nous effectuons des arrêts pour nous reposer dans la maison d'amis en Normandie, dans le Poitou et le Bordelais. Ensuite nous attend le tumulte de Barcelone et le tumulte non moins dense du bateau rapide. Le bateau lent réalise la traversée de nuit et met plus de neuf heures, le rapide le fait en quatre heures, de jour mais c'est une souffrance. Les espagnols sont addicts au bruit et y sont insensibles. Sur ce bateau, il y a un salon flottant dont les fauteuils sont tous disposés du même côté et aussitôt que la machine s'élève au-dessus de l'eau, toutes les télévisions s'allument à l'unisson mais pas de manière normale : le volume à fond. La plupart des fois, il s'agit de programmes infantiles, pour que les enfants apprennent à compter avant de savoir lire. Cris perçants, hurlements, on ne lésine pas sur la violence. Animaux dépecés, personnes aplaties, sang coulant sur l'écran, un pandémonium d'une durée de quatre heures où la civilisation humaine a été abolie. Si on regarde les gens, on se rend compte que, en réalité, quasiment personne ne regarde la télévision. C'est comme s'ils portaient des bouchons mentaux contre le bruit et, contemplant la mer en mouvement, ils dorment et parlent, sourds au bruit électronique. Demander que soit baissé le volume ne sert à rien; signaler que presque personne n'écoute non plus. "Il y a des gens qui aiment ça" est la réponse. Monter sur le pont est interdit. Dans le seul lieu à l'écart, le bar, résonnent les basses et les rythmes d'une musique pop pour que les passagers se sentent comme à la maison. 
Traduction libre de Lluvia roja de Cees Nooteboom
Quand j'appris
qu'ils ne modèrent pas le bruit
pour ménager les nourrissons endormis
je compris
que ce qui me différencie
des gens d'ici
plus que la nationalité, c'est l'ouïe

En Espagne, il est obligatoire de parler fort.
Si tu es dans un bar, que tu y parles normalement et que la police te découvre, tu as une amende.* 
*Traduction libre de El cuaderno secreto de Hans de Javier Salinas.
En España es obligatorio hablar alto.
Si estás en un bar y estás hablando normal y te descubre la policía te pone una multa.

dimanche 17 mai 2015

Au fait, je ne t'ai pas dit mais

ça m'était complètement sorti de l'esprit et, en fait, ça m'est revenu, je ne sais pas pourquoi à ce moment-là précisément, alors que je buvais mon café portatif Uncafeamericanoparallevarporfavor, je dis à la vendeuse. Quand c'est l'heure de sa collation, elle mord dans un petit sandwich au jambon qui a toujours l'air appétissant  pendant que mon gobelet se remplit mais je préférais cet hiver quand Doscafesamericanosparallevarporfavor tu m'accompagnais, que je t'invitais, que je n'étais pas toute seule assise à l'extrémité d'un banc près du marché de l'olivar à regarder passer les oiseaux et les gens, j'ai pensé qu'il fallait que je me souvienne de te raconter la scène que j'avais oublié de te relater la veille, en rentrant de la boulangerie parce que oui, donc, je voulais te dire que, mercredi, quand je suis allée acheter ton pain Unpanmallorquínporfavor ¿Cortado? Nogracias les deux vendeuses étaient en train de parler  non pas, comme souvent, de leurs problèmes de santé enfin, je ne reste jamais assez longtemps pour savoir s'il s'agit des leurs, je crois plutôt qu'il s'agit du mari de l'une d'elles mais je ne saurais pas dire laquelle des deux, non, cette fois, elle parlaient d'aquarelle avec une cliente et comme celle-ci leur montrait quelque chose sur l'écran de son téléphone qu'elle tendait au-dessus du comptoir, j'ai pensé à la dame que j'avais vue dans la rue la veille, dont, de loin, j'avais cru qu'elle posait alors que, non, c'était son chien dont le peintre faisait le portrait, tenant à la main le téléphone sur l'écran duquel il y avait la photo à reproduire. 

samedi 16 mai 2015

Une enquête sentimentale

Aimez-vous passer du temps dans votre salle de bain ?
Le stress vous a-t-il déjà fait perdre vos moyens ?
Faites-vous appel à des professionnels quand vous déménagez ?
Si vous ne l'êtes pas, pourriez-vous être libraire ?
Êtes-vous déjà parti en voyage seul ?
Que faites-vous quand vous ne parvenez pas à dormir ?
Possédez-vous des pièces de monnaie étrangères ?
Avez-vous déjà regretté de vous être séparé de quelque chose que vous aviez jeté ?
Êtes-vous d'un naturel curieux ?
 Vos amis habitent-ils majoritairement à proximité de chez vous ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 15 mai 2015

Le cabinet des rêves 227

Je marche dans la rue et j'entends un homme, derrière moi, répondre à une femme de sa connaissance qui lui demande de ses nouvelles mais aussi de celles de son fils. 
J.M ?ça fait un petit moment que je ne l'ai pas vu
Je me retourne pour regarder à quoi il ressemble. 
Il est grand, élégant, affable, très souriant. 
Comme la femme lui demande s'il sait vers quelle profession son enfant se dirige, il lui dit qu'il fut un temps, il aurait voulu être écrivain et que, d'ailleurs, lui trouvait que son écriture était fulgurante, incroyable, qu'il écrivait comme Kafka sans même s'en rendre compte (il en parle, admiratif, comme s'il parlait d'art brut) mais que, maintenant, d'après les plus récentes nouvelles qu'il en a eu, il serait plutôt attiré par la mécanique. 
L'espace d'un instant, j'hésite à faire demi-tour pour prendre part à la conversation et lui confirmer que c'est, en effet, vers la mécanique que J.M. s'oriente mais je me ravise : s'il n'en sait pas davantage, ce n'est pas à moi de l'informer. 
Je rentre et je vois M. qui parle un peu avec moi avant de me dire qu'il a des choses à finir et qui sort dans la pièce voisine qui n'a pas de porte. 
Je reste dans la chambre, allongée sur le lit. 
J.M. entre. Il est de bonne humeur et il est drôle, il s'assied sur le lit. 
J'hésite, là aussi, à lui dire que j'ai vu son père mais je préfère me taire une nouvelle fois : cela ne me regarde pas. 

Rêve du 3 avril 2015 

jeudi 14 mai 2015

La vie des pages (21)

-Excusez-moi -dit une voix dans leur dos. 
Ils se retournèrent pour voir Kamita, qui était descendu de son tabouret, debout, là. 
-Voulez-vous bien laisser en paix le patron ? dit-il en désignant Kino. De plus, vous me déconcentrez et je ne peux pas lire. 
Kamita parlait avec lenteur et sur un ton plus serein que de coutume. Mais on sentait que, depuis un point invisible, quelque chose se mettait en marche. 
-Et je ne peux pas lire -répéta d'une voix basse l'homme de petite stature. Comme s'il voulait s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une erreur grammaticale. 
-Parce que tu n'as pas de maison ? demanda le plus grand à Kamita. 
-Si -répondit Kamita- Je vis près d'ici. 
-Alors rentre lire chez toi. 
-ça me plait de lire ici, répondit Kamita.  
Traduction libre de Haruki Murakami.

Une nouvelle par jour, pendant une semaine. 
La lecture de ce recueil de Murakami ressemblait à une prescription. 
Davantage que des citations, j'en notai le nom des musiciens diffusés dans son bar par Kino
avec l'impression d'ajouter des médicaments à mon armoire à pharmacie.  

mercredi 13 mai 2015

SPéLéOLOGIE DE L'INTIME

1974 ? 1975 ?
Du disque qu'elle avait rapporté ce soir-là de son après-midi à Pointe-à-Pitre, ma mère dut tout m'expliquer. L'Auvergnat (1), les croquants (2), la peau d'vache déguisée (3).
On n'oublie pas les chansons sous le seul prétexte qu'on les déteste. 
Sous le mandarinier de la bibliothèque, Je ne suis pas une fleur j'ai pensé, chassant la procession de  pucerons de ma chemise.(4)
(1) 
Mais j'ai oublié comment elle raconta l'Auvergne à la toute petite fille que j'étais, qui ne connaissait de la France métropolitaine qu'une petite commune de la Sarthe.

(2)
Et plus tard, et encore plus tard, je lui demandai à nouveau, à nouveau, à nouveau. 

(3)
J'aurais pu également lui demander l'explication de : "Mais pour l'amour on ne demande pas
aux filles d'avoir inventé la poudre"

(4)
Même si, depuis le matin, je trouvais ma vie bien végétative. 

mardi 12 mai 2015

Tuesday self portrait

CINCUENTA Y DOS
Mi madre dice que es como vivir dentro de una caja de cristal.
Mi madre dice que es como comer naranjas dentro de una caja de cristal.
-¿De cristal? -pregunta mi padre.
-Sí.
-¿De cristal o de metacrilato?
Mi madre hace sus estiramientos.
-¿No lo entiendes?
-No, a mí me gustan las naranjas.
Mi madre dice que vivir así es como tener los brazos cortados.
-¿Y las piernas? -pregunta mi padre-. ¿Las piernas no?
Mi madre dice que vivir así es como que te crezca un árbol en el pecho.
Mi madre dice que vivir así es como lleva siempre una bolsa llena de nieve a la espalda.
-¿De nieve? ¿Tiene que ser de nieve? ¿No puede ser de otra cosa ?
Mi madre dice que vivir así es como cortar media ala de una mariposa con una cuchilla de afeitar.
Se me ha estropeado la bicicleta.
Ana me dice que su padre se está recuperando.
Yo estoy un poco triste.
-Pero todo el mundo tiene el derecho a estar triste, ¿no? -le digo.
-Sí, claro -me responde-, pero también feliz.
Tango hambre.
Javier Salinas. El cuaderno secreto de Hans.

CINQUANTE-DEUX

Ma mère dit que c'est comme de vivre dans une cage en verre.
Ma mère dit que c'est comme manger des oranges dans une cage en verre.
-En verre ? demande mon père.
-Oui.
-En verre ou en métal ?
Ma mère fait ses étirements.
-Tu ne comprends pas ?
-Non, moi j'aime les oranges.
Ma mère dit que vivre ainsi est comme avoir les bras coupés.
-Et les jambes ? demande mon père. Pas les jambes ?
Ma mère dit que vivre ainsi est comme s'il te poussait un arbre dans la poitrine.
Ma mère dit que vivre ainsi est comme toujours porter un sac plein de neige sur le dos.
-De neige ? Il faut que ce soit de la neige ? ça ne peut pas être autre chose ?
Ma mère dit que vivre ainsi est comme couper en deux une aile de papillon avec une lame de rasoir.
Mon vélo est en miettes.
Ana me dit que son père se rétablit.
Je suis un peu triste.
-Mais tout le monde a le droit d'être triste, non ? je lui dis.
-Si, bien sûr, elle me répond, mais heureux aussi.
J'ai faim.
(Traduction libre)

lundi 11 mai 2015

L'anniversaire (fragments d'insularité)

Il y a dix ans :
Maintenant : 
toujours, avec Gaëlle, on s'assied, 
on ne s'arrête jamais de parler. 
Le nom de l'île, seul, a changé. 

dimanche 10 mai 2015

Le sommeil

nous fait refermer nos pages 
mélanger le bleu de nos tee-shirts
 nos jeans
 sur un même transat
sous un ciel 
d'hirondelles

samedi 9 mai 2015

Une enquête sentimentale

Y a-t-il une chanson que vous connaissez entièrement par coeur ?
Que vous évoque le vent ?
Savez-vous quel est le plus long trajet que vous ayez fait à vélo ?
Avez-vous déjà participé à un atelier d'écriture ? 
Si non, cela vous tente-t-il ?
Obteniez-vous 
toujours 
souvent
rarement
une réponse aux questions que vous posiez, enfant 
?
Quelle est la dernière chose que vous ayez achetée ?
Vous est-il arrivé d'avoir peur en voiture à cause du conducteur ?
Avez-vous déjà été photographié avec une personne célèbre ?
Aimez-vous lire de la science fiction ?
A quelle occasion la plus récente vous êtes-vous rendu dans un aéroport ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 8 mai 2015

Le cabinet des rêves 226

Comme H. m'en a indiqué l'horaire de la réunion d'information, je décide de suivre un atelier photo. 
Cette réunion est organisée dans une grande salle où les tables sont placées en U. 
J'ai un peu de mal à comprendre ce qui s'y dit. 
Alors que la présentation vient de commencer, une pause a lieu.
Dans le hall d'entrée, j'enlève les leggings que je portais sous ma jupe parce qu'il fait trop chaud. 
Quand je reviens, des garçons restés dans la salle me charrient un peu parce qu'ils m'ont vue. 
Je m'aperçois que, pendant la pause, le grand tableau de la salle a été couvert de renseignements concernant l'atelier et que c'est pour que je puisse les recopier qu'un des garçons m'a demandé si j'avais un agenda. 
Contre le tableau est posé un cadre contenant un de mes auto-portrait en n&b : j'y ai les cheveux rasés et je porte un vêtement rayé qui rappelle celui d'un prisonnier. 
Je vais m'asseoir à une extrémité du U. 
Il y a une fille en face de moi, une autre à ma droite. 
Celle d'en face commence à parler français. 
Je m'en étonne : comment sait-elle que je suis française et pourquoi sait-elle le parler ?
Elle me dit qu'elle est la fille de F.C. et ma voisine de droite m'explique que son lien de parenté avec moi est moins direct mais que nous sommes néanmoins également cousines, même si éloignées. 

Rêve du 28 mars 2015

jeudi 7 mai 2015

Chronologie du hasard


Javier Cánaves est né à Palma en 1973 mais cela, je l'ai appris un peu plus tard.

Un jour à Caritas, j'avais acheté de la poésie. En rentrant, j'avais posé ça là. Un soir, un peu plus tard, j'en avais lu quelques pages. La poésie a cela de bien que, même dans notre langue maternelle, elle nous échappe quelquefois. On a une excuse naturelle.

Un autre jour, un peu plus tard, j'avais lu un article, dans une revue, sur un écrivain majorquin. J'avais noté son nom dans mon carnet dont certaines pages ressemblent à un annuaire, les numéros de téléphone en moins. Quand même, il me disait quelque chose, ce nom-là.

Un autre soir, un peu plus tard, j'ai vu que, oui, le recueil de poésie était de lui.

Un jour, un peu plus tard, c'était à Barcares et j'avais dû lire Las cosas que se pierden (1) deux fois car, la première, il n'avait écouté que ma voix.

Un jour, un peu plus tard, j'ai emprunté Al sur de todo mapa (2) mais, trois jours plus tard, j'ai vu La historia que no pude o no supe escribir sur le présentoir et c'est celui-là que j'ai lu.
Le narrateur du roman relate une histoire de jeunesse, une histoire d'amour, qui s'est passée sur l'île de Fuerteventura, avec sa partenaire de travail, Alicia, une drôle de fille, cette Alicia, aux paroles énigmatiques, qui partit travailler ailleurs, un jour et, ce jour-là, partit, aussi, de la vie du narrateur. A son absence, il ne s'habitue pas. L'oublier, ça, il ne peut pas. Alors il la cherche et ne la trouve pas. Un jour, dans le rayon poésie d'une librairie de Madrid, il prend un livre au hasard "au hasard ou peut-être que c'est son titre qui m'attira. La historia que no pude o no supe escribir." Il le feuillette et lit un poème qui raconte, mot pour mot, son histoire avec Alicia. A une exception près : dans le poème, elle s'appelle Laura. Pour tenter de retrouver sa chimère, il part à la recherche de l'auteur, un certain Jaime Castell, né à Palma en 1973.

Quelques jours plus tard, dans le bus pour Palma où j'allais rendre les deux livres, la touriste qui monta devant moi portait sur l'épaule un sac à l'inscription Fuerteventura. Il me restait la durée du trajet pour lire Al sur de todo mapa. Je l'ouvris au hasard et je lus :

LAURA SUEñA FLAMENCOS
                                                Para Aïda 
A Laura la desvela un sueño con flamencos
y baja hastial el jardín donde sabe que duermen.
¿ Dónde queda el hechizo que la luna tejió ?
Laura agoniza y bebe la tregua de los plátanos,
la humedad de las piedras, pero todo se vuelve
escarcha en sus pulmones, y busca una plegaria
en los charcos de plata que alumbran el camino.
Laura sabe que el miedo fue la liebre y el fuego,
el tormento y la dicha, pero cómo evocar
-sin arriesgar el alma- esos días en Cardiff.
Laura guarda en su puño, apretado con fuerza,
una última carta, y deja que sus pasos
la lleven hasta el mar. Cuando amanezca, Laura
será un hueco y el nombre de un poema y la fecha
que consigo quién sabe para cuando y por qué.
Cuando llegue el momento de juntar lo que fuimos
tu nombre hará temblar mi voz en algún punto.
También me desveló, la noche en que te fuiste,
un sueño con flamencos.  

(1)
Las cosas que se pierden (Les choses qui se perdent) est un poème extrait du recueil Al fin has conseguido que odie el blues (Finalement, tu as réussi à ce que je déteste le blues) publié par les éditions Hiperión en 2003.

(2)
Al sur de todo mapa (Au sud de n'importe quelle carte) a été publié par Hiperión en 2001.

(3)
La historia que no pude o no supe escribir (L'histoire que je n'ai pas pu ou pas su écrire) est un roman publié par les éditions Baile del Sol en 2009.

mercredi 6 mai 2015

Enfant sans enfants

J'ai onze enfants, deux chats, un chien, trois poissons, deux lapins et un perroquet. Avec les enfants ça va très bien mais avec les animaux -un caprice de ma sainte femme- j'ai des problèmes. 

Enrique Vila-Matas. Enfants sans enfants
Sur la photo c'est Noël, nous sommes toutes les trois en pyjama. 
J'ai gardé la photo, j'ai donné mes jouets. 
Une voiture verte, un train en bois
seront peut-être à nouveau sur un cliché.

mardi 5 mai 2015

Tuesday self portrait


Qui pensera à me donner un chausson aux pommes en automne à cinq heures, ou un oeuf à la coque avec des lichettes beurrées au début du printemps, sans que j'aie même à en suggérer le désir. 
C'est, paraît-il, la petite faculté qu'attendent toujours les femmes de leurs maris, depuis qu'ils se sont substitués aux mamans le matin, au lit. 
Je tenterai d'acquérir cet équilibre d'une vraie dame qui, après le plat du jour, se retire de son assiette avec netteté, comme si elle n'avait pas de souvenir d'enfance. 
Une telle personne cependant n'a peut-être presque plus faim parce qu'elle a un mari ?
Ainsi, peu à peu, il y aura quand même des jours où manger ne sera plus utile.
Raphaëlle Billetdoux. Jeune fille en silence

lundi 4 mai 2015

Voyages au long cours (fragments d'insularité)

On nous fit changer à Inca. 
Avril est le mois des voyages difficiles. 
Mais je m'étais estimée heureuse d'être encore en train d'attendre quand le chauffeur avait annoncé l'arrivée d'un autre bus, après que le dixième Français du groupe fut monté.
Souvent, ma langue maternelle est gênante. 
On nous fit changer à Inca et monter dans un bus autrement plus chic, mieux équipé que celui que nous venions de quitter. 
Des écrans de télé, des hauts-parleurs comme jamais (1), des sièges confortables... qui m'évoquèrent des trajets longs tout en me faisant me demander quelle pouvait en être la destination puisque je venais de traverser l'île dans le sens de la longueur, en une heure. 
(1)
Pour passer le temps, j'ai pensé au jour de l'enregistrement, à l'ambiance que ça devait être dans le studio, ce jour de 1982, quand fut gravé le morceau dont personne ne pensait qu'il serait un tube à ce point, qui fit bouger joyeusement mes pieds dans les boums de cette décennie-là mais qui, trente ans plus tard et diffusé à cinquante centimètres de ma tête, m'empêchait encore plus que n'importe quelle conversation française de me concentrer sur ma lecture.

dimanche 3 mai 2015

Il avait fait chaud

, ce dimanche-là (1), bien que moins qu'hier cependant,
et je savais que la température de l'eau de la douche serait parfaite.
AAAAAAAAHHHHHH (2)
Je t'ai appelé mon chevalier (3) mais, toujours, tu remets les insectes dehors alors, toujours, je me dis qu'ils reviendront. 
Seule, bien sûr, j'aurais fait autrement. Seule, je faisais autrement mais les cafards ne sortaient pas de chez moi vivants. (4)



(1)
assez chaud pour que j'enfile mes sandales
(2)
"Oh ! A big black spider !", aurait dit ma soeur qui, elle aussi, se souvient de ses premières leçons d'anglais. 

(3)
(4)
J'ai souvent repensé à K., qui ne s'en était pas sortie seule, avec les cafards, qui avait fait comme moi : AAAAAAHHHHHH mais un étage au-dessus et E. avait été le chevalier-exterminateur. 
Le soir, il nous avait raconté une scène (5) du roman de Jean-Jacques Schull qu'il lisait : Ingrid Caven, droguée, s'était endormie dans la baignoire de la chambre où elle logeait. A son réveil, les blattes s'étant introduites par la bouche d'aération avaient envahi la baignoire, elle était restée figée, incapable de bouger, de crier : tétanisée. 

(5)
Récemment, je lui en ai reparlé mais il n'avait gardé aucun souvenir de cette scène, au contraire de beaucoup d'autres, de ce livre. Un jour, peut-être, je lirai Ingrid Caven et il est possible que je n'y trouve aucune histoire de baignoire, de cafards. Ou bien si. Mais peu importe : je garde en moi le souvenir de cette lecture que je n'ai pas faite et, si la scène est inventée, le souvenir, lui, est vrai. 

samedi 2 mai 2015

Une enquête sentimentale

Quel est le vêtement le plus original que vous ayez porté ?
Avez-vous déjà assisté à une séance de cinéma en plein air ?
Vous arrive-t-il 
souvent
rarement
jamais 
d'inventer des mots 
?
Quand avez-vous mangé des frites, la dernière fois ?
Avez-vous déjà vécu un dégât des eaux ?
Y a-t-il une question que l'on vous pose régulièrement ?
Si oui, laquelle ?
Buvez-vous 
toujours 
souvent
jamais 
dans des verres adaptés à votre boisson 
?
Aim(i)ez-vous les jours de rentrée ?
La compagnie de jeunes enfants vous donne-t-elle le sentiment de rajeunir ou d'avoir vieilli ?
Avez-vous déjà poussé une brouette ?
ICI, des voix sentimentales

vendredi 1 mai 2015

Le cabinet des rêves 225

Je suis en voiture, il fait nuit. 
Je vais chercher des affaires que j'ai laissées à la consigne d'un musée, un peu plus tôt. 
Sur l'autre voie de la chaussée, il y a des travaux qui font se déporter temporairement les voitures sur celle où je suis. 
En sens inverse, je vois M. arriver. 
Même s'il a dépassé les travaux, il ne se rabat pas immédiatement. 
Nous nous faisons joyeusement des appels de phare pour nous signifier non seulement que nous nous sommes vus mais aussi que nous allons nous retrouver après mon aller-retour. 
Je pense que je pourrai lui citer cette situation en exemple pour illustrer ce que je lui ai dit à une autre occasion : quand je suis en voiture avec lui, j'ai souvent l'impression qu'il ne roule pas au centre mais qu'il se déporte régulièrement. 

Rêve du 23 mars 2015