samedi 25 juillet 2015

Une maladie infantile

La mémoire est comparable à une longue nuit agitée. Au fur et à mesure que j'écris ceci, j'ai l'impression d'émerger constamment du sommeil pour saisir et retenir une image qui, je l'espère, va pouvoir entraîner dans son sillage un rêve entier et intact; mais les fragments demeurent fragments; l'histoire en son entier échappe toujours. 
Graham Greene. Une sorte de vie

Un soir à table, je leur révélai ou, plutôt, je leur dis car la révélation fut davantage pour moi d'apprendre qu'ils ne le savaient pas même si leur étonnement fut grand d'apprendre ce que je croyais qu'ils savaient de moi : or, oui, toute mon enfance jusqu'à peu près mon premier âge à deux chiffres fut marquée par le sceau d'une maladive timidité.
Au point que ma joie d'accompagner mon père pour des courses au stock militaire était diminuée de moitié par la terreur que j'éprouvais toutes les fois où il me hissait sur le charriot en me laissant le soin de le garder le temps d'aller chercher un article dans une autre travée et où je craignais que quelqu'un s'en empare et m'emmène dans le même mouvement sans que je puisse protester d'aucune façon puisque, même en des circonstances autrement plus anodines, il était rare que quiconque au-delà de mon cercle familial entende le son de ma voix.
Une autre fois, la timidité ne fut pas seule à me faire garder les lèvres hermétiquement closes : alors que j'accompagnai ma mère qui y accompagnait ma soeur, je redoutai durant toute la séance qui me parut d'autant plus longue, que le dentiste aperçoive, même de loin, une carie et veuille la soigner à tout prix sur le champ si jamais je ne faisais même qu'entrouvrir la bouche.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire