samedi 19 septembre 2015

Une mesure de précaution

Qui serai-je dans trois, dans dix, dans quarante-deux ans ?
En jetant les photos, les courriers, les objets, les… tout ce qui encombrait ma vie et alourdissait mes déménagements, j'ai parié sur la constance de ma tendance à n'éprouver que très rarement des regrets. 
Je garde mes journaux, cependant. 
Dans trois, dans dix, dans quarante-deux ans, je voudrai peut-être vérifier qui j'étais trois, dix, quarante-deux ans auparavant. 
Ouvrant sans rien y chercher un carnet de janvier 2011, j'y lis un rêve que j'avais oublié et que je n'ai jamais publié dans le Cabinet des rêves de cette époque-là.

Nous sommes plusieurs à faire don de nos carnets, de nos journaux intimes et ils seront tirés au sort pour être donnés à d'autres personnes. 
Un premier tirage attribue un carnet à un absent. 
Les personnes présentes (peu nombreuses) jugent cela injuste : Il ne vient jamais ! Si on procède à un autre tirage au sort, il n'en saura rien ! disent-elles. 
Un autre tirage a lieu et mon journal revient à une dame qui est là. 
Avant de le lui donner, je le feuillette à nouveau pour voir ce qu'elle apprendra de moi. 
Comme si je n'avais pas pensé à cela avant. 

Rêve du 9 janvier 2011
Nous avions tous, au début, l'espoir de pouvoir l'aider : il était si agréable, si aimable, si sympathique, si intelligent, il nous était difficile de croire qu'il était un cas perdu. Mais jamais aucun de nous n'avait vu, n'avait même imaginé que l'amnésie pouvait avoir un tel pouvoir, la possibilité d'un trou dans lequel tout, toutes les expériences, tous les événements étaient enfouis à des profondeurs insondables, un puits sans fond dans la mémoire qui avalait le monde entier. 
J'ai proposé, la première fois que je l'ai examiné, qu'il écrive un journal, j'ai pensé que ça l'égaierait de prendre des notes quotidiennes de ses expériences, ses sentiments, ses pensées, ses souvenirs, ses réflexions. De telles tentatives ont été contrariées, au début, parce qu'il perdait continuellement son carnet qu'il fallait l'attacher à sa personne d'une manière quelconque. Mais ceci ne donna pas non plus de résultat. Il écrivait un journal bref mais il n'était pas capable de reconnaître ce qu'il avait écrit avant. Il identifiait son écriture, le style mais il restait toujours surpris de découvrir ce qu'il avait écrit la veille. 
Oliver Sacks. L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau

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