samedi 9 janvier 2016

Le détachement

Notre vie est tournée vers la lecture, notre vie est pour la lecture. Ce que nous aimons faire ma soeur et moi, c'est nous lire à voix haute des extraits des livres que nous sommes en train de lire. Le soir, dans la bibliothèque, nous nous retrouvons et nous nous faisons la lecture. Nous n'écrivons jamais dans nos livres, nous ne les annotons pas, nous ne cornons pas les pages. Nous avons des fiches bristol sur lesquelles nous recopions le passage retenu. Nos livres sont vierges de toute annotation. Nous avons ainsi de nombreuses boîtes remplies de fiches, témoins de nos lectures, témoins de nos amours. Quand je vois ces boîtes, quand je vois ces fiches, je me dis que Véra et moi nous sommes des écrivains. Depuis vingt ans, Véra et moi passons notre temps à lire et à écrire. Et nous avons dans ces boîtes le grand roman de nos lectures. Un grand roman fantôme, rempli des voix des autres, capturées par nous. 
Et peut-être un jour serons-nous aussi des fantômes : ces anciens bibliothécaires qui ne peuvent quitter leur profession et qui, bénévoles, continuent à errer parmi les rayons des bibliothèques.  
Emmanuel Régniez. Notre château
Il m'arrive d'y penser au moment d'en faire entrer un dans mon lit mais pas seulement, j'y pense souvent : où est-il allé avant que je le rencontre ?, où ira-t-il quand j'en aurai fini avec lui ?, qui l'aimera dès le premier coup d'oeil autant que moi ?, ou finira par le détester, par le délaisser pour un autre ? ou encore : conviendra-t-il à quelqu'un puisque, à moi, pas tant que cela ?
Notre relation dure deux ou trois semaines, parfois moins si je nous trouve incompatibles  et sa brièveté, sa date de fin programmée, me la fait consommer sans tarder.
Je ne suis pas volage : j'aime surtout qu'ils ne s'installent pas chez moi, qu'ils fassent partie de ma vie, pas des meubles. 

Mes livres que je vais donner à la bibliothèque, je les regarde comme des oiseaux que je pousserais au-dehors de leur cage. 

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