lundi 29 février 2016

La carte et le territoire (fragments d'insularité)

L'idée de l'île m'intéresse beaucoup en général. Les insulaires du monde entier, nous qui sommes nés sur une île, nous avons une manière de comprendre le territoire très différente de celle des habitants du continent. Même si on vit de nombreuses années sur une île, ce n'est pas la même chose que de naître et grandir sur une île, avec l'idée que notre monde est ce monde limité. Les insulaires sont capables d'embrasser mentalement le territoire, c'est à dire, de créer une étrange correspondance entre la carte mentale et le territoire. Par conséquent, en allant sur le continent, n'importe quel insulaire ressent une sensation d'euphorie et de désarroi. Il se rend compte que son monde était un monde très concret et cela lui fait éprouver pas mal de nostalgie de cette sécurité. Physiquement, on est capable d'identifier la frontière et, dans le cas des îles plutôt petites comme Ibiza, Formentera et Minorque, on est aussi capable de penser l'île. Et moi, dans mes poèmes, je m'occupe de la penser."
Ben Clark, extrait* d'une interview dans le Diario de Ibiza.
Neuf mois exactement avant ma naissance, mes parents qui vivaient en Nouvelle Calédonie, étaient partis passer quelques jours sur l'île voisine : Ouvéa. 
Quand j'étais petite, nous habitions en Guadeloupe, nous partions en vacances sur les îles voisines : les Saintes. 
Maintenant, j'habite aux Baléares et, tous les printemps, je vais sur l'île voisine : Minorque
*
"la idea de la isla me interesa mucho en general. Los isleños de todo el mundo, los que hemos nacido en una isla, tenemos una forma de entender el territorio muy distinta a los habitantes del continente. Aunque uno haya vivido muchos años en una isla, no es lo mismo que nacer y crecer en una isla, con la idea de que tu mundo es ese mundo limitado. Los isleños son capaces de abarcar mentalmente el territorio, es decir, se crea una extraña correspondencia entre el mapa mental y el territorio. Por lo tanto, al salir al continente, cualquier isleño siente una sensación de euforia y de desamparo. Se da cuenta de que su mundo era un mundo muy concreto y eso le provoca bastante nostalgia de esa seguridad. Físicamente uno es capaz de identificar la frontera y, en el caso de las islas más bien pequeñas como Ibiza, Formentera y Menorca, uno es incluso capaz de pensar la isla. Y yo en mis poemas me dedico a pensarla."

dimanche 28 février 2016

La médecine

Ainsi et comme souvent, il nous aura suffi d'y poser le bon diagnostic pour immédiatement guérir notre vie, de penser qu'elle manquait singulièrement de poésie ces derniers temps pour l'en trouver tout aussitôt emplie. 
Le vrai legs de Shackleton serait peut-être celui-là : nous faire comprendre que les forces hostiles de ce monde peuvent être domptées, qu'il ne faut rien de plus que faire face aux vagues, faire face au vent, que le froid est un mot très petit dans presque toutes les langues mais que l'amour, en revanche, ne connaît ni de distances ni de directions et que, pour se confronter à lui, toute détermination est faible et les projets ne servent à rien. 
Traduction libre d'un extrait de l'introduction de Los últimos perros de Shackleton de Ben Clark :  

Quizá sea este el verdadero legado de Shackleton : hacernos entender que las fuerzas hostiles de este globo pueden ser domadas; que no hay más que enfrentarse a las olas, plantarle cara al viento, que el frío es una palabra muy pequeña en casi todos los idiomas, pero el amor, en cambio, no entiende de distancias ni de rumbos, que al enfrentarse a él toda determinación es poca y los planes no sirven para nada. 

samedi 27 février 2016

Poème de table en version originale (sous-titrée*)


A fréquenter les cafés sans parler français, 
j'écris de la poésie minuscule en version originale.

Poema de mesa

Leyendo el menú, puedo saber donde estoy : 
el llonguet, la ensaimada son la prueba, 
estoy en Mallorca
y detrás de la ventana
hay el sol de Palma. 
Sin embargo, no es tan cierto 
porque en el cuello llevo
un perfume que he elegido
pasando por una perfumería
durante esta mañana. 
Es un aqua fresca
que, antes, llevaba. 
¿Antes de qué?
Antes de todo, diré. 
Era joven y no me pintaba
ni los labios
ni los ojos
al contrario de ahora. 
Vivía en Francia
en una ciudad de provincia
donde estudiaba, trabajaba, soñaba
pero donde todavía
no solía ir al café sola. 

Hoy tampoco estoy sola : estoy tomando
un café con el fantasma de mí mismo. 



 *
En lisant le menu, je peux savoir où je suis :
le llonguet, l'ensaimada en sont la preuve, 
je suis à Majorque
et, par la fenêtre, 
il y a le soleil de Palma. 
Mais cela n'est pas si certain 
car, dans le cou,
je porte le parfum que j'ai choisi 
en passant par une parfumerie
ce matin. 
C'est une eau fraîche que je portais, avant. 
Avant quoi ?
Avant tout, je dirais.
J'étais jeune et je ne me maquillais 
ni les lèvres
ni les yeux
au contraire de maintenant. 
Je vivais en France, 
dans une ville de province
où j'étudiais, je travaillais, je rêvais
mais où je n'avais pas encore
l'habitude de fréquenter seule les cafés. 

Aujourd'hui non plus je ne suis pas seule : 
je prends un café avec le fantôme de moi-même. 

vendredi 26 février 2016

Le cabinet des rêves 268

Je dois me faire opérer de la cheville. 
La chirurgienne qui va le faire est assez rude. 
Lors de mon admission à l'hôpital, voyant que j'ai été mariée mais que j'ai divorcé, elle me demande, sarcastique : Alors, c'est juste parce que votre nom allait bien avec celui de votre mari que vous vous êtes mariée ?
En même temps que je pense qu'elle a au moins remarqué que l'association des deux noms sonnait bien, je lui réponds qu'il me semble qu'on est plus souvent amené à rendre des comptes sur le fait de ne pas être marié que l'inverse. 
Elle me montre ensuite l'endroit où elle va m'opérer : une espèce de grenier empli de vieilles choses poussiéreuses et d'outils rouillés. 
Je lui dis que c'est un peu étrange, un tel endroit pour une opération : on y accède par un escalier très raide et étroit, comment vais-je faire pour redescendre si mon état nécessite l'usage de béquilles, par exemple ?
Car elle ne cache pas que mon état a l'air grave. Elle semble même prendre plaisir à m'inquiéter. 
Dans la salle d'attente, un couple de personnes très grosses que je ne crois pourtant pas connaître est venu me soutenir. 
Comme un séjour dans cet hôpital n'est pas à exclure, je me demande ce que je mangerai puisque les repas ne me conviendront pas. 

Finalement, l'opération a lieu. 
La chirurgienne ne procède qu'à une minuscule entaille qui ne m'empêche pas de redescendre l'escalier et qui ne m'oblige pas à rester à l'hôpital. 

Rêve du 17 février 2016

jeudi 25 février 2016

Mi Estado mental

Durant des heures, c'est seulement mon image qu'on voit au sous-sol, mise au point, en réalité, par deux caméras, l'une dans cet angle et l'autre dans cet autre angle du plafond. On voit seulement mon corps mais personne ne peut entrer en moi, la solitude du cerveau échappe à la surveillance électronique, la télévision reflète seulement les pensées de ceux qui la voient. Est filmée et retransmise seulement la pensée des gens qui, volontairement, acceptent de regarder ce qu'ils pensent. Cela, on l'appelle le programme télévisé du jour, une carte générale de l'Etat mental. Le monologue intérieur, dit-il, est maintenant le programme d'un jour sur les écrans de la télévision, du temps fragmenté, un flux de conscience, des images verbales. Mais on n'a pas encore obtenu une machine si sensible qui permette la télévision télépathique.   
Traduction libre d'un extrait* de La ciudad ausente de Ricardo Piglia.

J'ai dessiné sur une double page la carte mentale de mon apprentissage de l'espagnol et est apparu un continent indifférent aux mers, aux océans, un espace intérieur, souterrain. 
Toutes les directions, à la fin, convergent en une seule. 
L'écrit, le récit. 

Durante horas es sólo mi imagen la que se ve en el sótano, enfocada en realidad por dos cámaras, una en ese ángulo y la otra en ese otro ángulo del techo. Sólo ven mi cuerpo, pero nadie puede entrar en mí, la soledad del cerebro es inmune a la vigilancia electrónica, la televisión sólo refleja el pensamiento de quienes la ven. Sólo se filma y se transmite el pensar de la gente que voluntariamente se dispone a mirar lo que piensa. A eso lo llaman la programación televisiva del día, un mapa general del Estado mental. El monólogo interior, decía él, es ahora la programación de un día en las pantallas de la televisión, tiempo fragmentado, flujo de conciencia, imágenes verbales. Pero no han logrado todavía una máquina tan sensible, que permita la televisión telepática.

mercredi 24 février 2016

CHOSES QU'ON NE FAIT QU'EN VILLE

La nuit sous la pluie devant un cinéma la file

mardi 23 février 2016

Tuesday self portrait

Il est des entreprises qui s'étendent à travers toute une vie, d'autres se limitent à un instant; mais aucune n'exprime la totalité de mon être, puisque cette totalité n'est pas. Nous sommes souvent dupés par un mirage : si j'ai fait deux vers que l'on admire, je me crois volontiers nécessité jusque dans ma manière de manger, de dormir; c'est que mon moi est à la fois dispersé et un, il est comme le mana du primitif tout entier en chaque point; et comme le primitif pense que si l'on détient un seul de ses cheveux on détient son mana tout entier, ainsi nous imaginons que la louange accordée à un de nos actes justifie tout notre être : c'est pourquoi nous nous soucions d'être nommés; le nom, c'est ma présence totale rassemblée magiquement dans l'objet. Mais en vérité nos actes sont séparés et nous n'existons pour autrui que dans le mesure où nous sommes présents à nos actes, donc dans notre séparation.
Simone de Beauvoir. Pour une morale de l'ambigüité

lundi 22 février 2016

"La nation est un concept linguistique" (fragments d'insularité)

"Le langage se transforme selon des cycles discontinus qui reproduisent la majorité des langues connues. Les habitants parlent et comprennent instantanément la nouvelle langue mais oublient la précédente. Les langues qu'on a pu identifier sont l'anglais, l'allemand, le danois, l'espagnol, le norvégien, l'italien, le français, le grec, le sanscrit, le gaélique, le latin, le saxon, le russe, le flamand, le polonais, le slovène, le hongrois. Deux des langues utilisées sont inconnues. On passe de l'une à l'autre, on ne peut pas les concevoir comme des langues distinctes mais comme les étapes successives d'une langue unique." Les rythmes sont variables, parfois une langue se maintient des semaines, parfois un jour.
(…) Sur l'île, on ne connaît pas l'image de ce qui est au-dehors et la catégorie d'étranger n'est pas stable. On pense la patrie selon la langue. ("La nation est un concept linguistique.") Les individus appartiennent à la langue que tous parlaient au moment de leur naissance mais personne ne sait quand celle-ci reviendra. "Ainsi surgit dans le monde quelque chose qui, à tous, apparait dans l'enfance et où personne n'est encore allé : la patrie." 
Traduction libre d'un extrait* de La ciudad ausente de Ricardo Piglia. 
Un soir de la semaine dernière, je fis la connaissance d'une jeune fille qui, peu de temps avant, avait connu une autre Gwendoline. 
Le même soir, je rencontrai un homme qui, comme moi, était né sur une île. 
Mais
jamais je n'ai rencontré d'autre Gwendoline. 
Pas davantage : quelqu'un né sur la même île que moi. 
"El lenguaje se transforma según ciclos discontinuos que reproducen la mayoría de los idiomas conocidos. Los habitantes hablan y comprenden instantáneamente la nueva lengua, pero olvidan la anterior. Los idiomas que se han podido identificar son el inglés, el alemán, el danés, el español, el noruego, el italiano, el francés, el griego, el sánscrito, el gaélico, el latín, el sajón, el ruso, el flamenco, el polaco, el esloveno, el húngaro. Dos de las lenguas usadas son desconocidas. Pasan de una a otra, pero no las pueden concebir como idiomas distintos, sino como etapas sucesivas de una lengua única." Los ritmos son variables, a veces un idioma permanece semanas, a veces un día. 
(…) En la isla no conocen la imagen de lo que está afuera y la categoría de extranjero no es estable. Piensan la patria según la lengua. ("La nacíon es un concepto lingüístico.") Los individuos pertenecen a la lengua que todos hablaban en el momento de nacer, pero ninguno sabe cuándo volverá a estar ahí. "Así surge en el mundo algo que a todos se nos aparece en la infancia y donde todavía no ha estado nadie : la patria."

dimanche 21 février 2016

La préhistoire

Tout a commencé le… Euh… Tout a commencé en… 
En fait, ce n'est pas si simple. 
Non, cela n'a rien de simple de raconter une histoire ou, du moins, d'en situer le commencement. 
Combien de temps cela a duré vraiment, entre le moment où le prince est arrivé dans la chambre du palais où la belle dormait depuis cent ans et celui où il a décidé de l'embrasser, où elle a ouvert les yeux ? 
Je reprends. 
Tout a commencé en février 1985
Certes. Mais il y a un autre début, plus récent, car tout a commencé aussi le 22 février 2013, quand j'ai répondu au message que tu m'avais envoyé. 
Mais on pourrait, tout autant, dire que tout a commencé le 9 avril 2012, quand tu me l'as écrit, ce message. 
Quand je vois que des gens se connectent ici depuis les Etats-Unis, le Portugal, la Bolivie, des pays où, pourtant, je ne connais personne, j'y pense tout le temps : à l'année entière où tu n'as manqué aucun de mes billets rue Linière, pendant que je me demandais bien mais qui me lit de Majorque alors que je ne sais même pas où c'est. 

samedi 20 février 2016

les mots des morts

Il y a des mots dans nos vies, les vôtres, la mienne, il y a des mots dans la vie de tout le monde, qu'on emploie sans plus y penser tellement ils nous sont familiers, qu'on s'agace de dire car on les entend trop, qui ne sont pas les nôtres mais dont on voudrait qu'ils le soient, qu'on emprunte, qu'on garde parce qu'ils nous vont, qu'on rend parce que non, qu'on s'étonne d'avoir oubliés.
Il y a des mots, d'autres mots, qui ne sont pas les nôtres mais qui sont à nos morts et quand le hasard nous les fait entendre, alors nos morts ne sont plus morts, l'espace d'un instant. 

vendredi 19 février 2016

Le cabinet des rêves 267

Je suis chez le coiffeur. 
Il a fini sa coupe et son brushing et s'est absenté. 
Je me regarde dans la glace. 
C'est une coupe en deux longueurs (les cheveux les plus courts m'arrivent aux oreilles, les plus longs aux épaules) sans qu'elles soient reliées par un dégradé. 
M. est assis derrière moi, je lui demande son avis. 
Il aime bien. 
Moi aussi mais je crains que, une fois l'effet du brushing disparu, la coupe n'ait plus aucune allure. 
A cela, M. avoue son ignorance, il dit que je suis mieux placée que lui pour le savoir.

Rêve du 29 janvier 2016

jeudi 18 février 2016

Partie de ping pong avec Kim Jong-un

C'est un jour de bonne fortune que j'empruntai, sans rien connaître de lui, un livre de Ricardo Piglia
Ce n'est qu'après avoir fini de le lire que, non seulement je m'aperçus que j'avais déjà cité son nom mais aussi que, en me documentant sur lui, je lus l'article que David Pérez Vega lui avait consacré sur son blog de critiques littéraires
Bien que je partage les préventions de Javier Marías (1) qui sont aussi celles de Margaret Atwood (2), il me plait, parfois, de rencontrer des auteurs et j'en compte même parmi mes amis.
Une autre bonne fortune me fit découvrir David très peu de temps avant la présentation de son livre à Palma. Ce en quoi la rencontre de cet auteur eut d'inédit pour moi, c'est qu'elle eut lieu en espagnol. 
Plus tard, quand je lus Los insignesje fus bien obligée de reconnaître mes points communs avec le dirigeant de la Corée du nord. 
En effet, dans le roman de David, c'est en effectuant une recherche sur Garcia Lorca que Kim Jong-un découvre le blog littéraire écrit par Ernesto Sánchez, un poète espagnol, avec qui il entre en contact, à la plus grande surprise de ce dernier. 
"Au début, j'ai cru, comme tu le comprendras, Kim Jong-un, que tout ceci était une blague. Ça ne se pouvait tout simplement pas que m'ait écrit un mail le nouveau président de la Corée du nord -quasiment l'ultime représentant du rêve d'égalité entre les hommes, le fléau du capitalisme sauvage- et qu'il s'exprime dans un espagnol plus que correct."(3)
Ce dialogue souvent désopilant permet non seulement à David Pérez Vega de faire une critique très acerbe du milieu de la poésie espagnole mais également à son personnage Ernesto Sánchez de donner quelques leçons à Kim Jong-un : 
"Tomber d'un âne… Tu ne connais pas cette expression, Kim Jong-un ? Ah oui, excuse-moi, c'est que, parfois, je vais un peu vite et comme je vois que tu parles très bien et que tu sembles tout comprendre, je ne me rends pas compte que je devrais parler plus lentement et soigner mes expressions. "Tomber d'un âne" signifie dire du mal, critiquer durement…"(4)


"Tu ne dédierais aucun vers à ce fien ? Comment ? Ah ! chien ! Quand tu te fâches, ta prononciation empire… Bon, allez, ne t'énerve pas, s'il te plait, ce n'était pas mon intention… Bois un peu de ton verre de jus et, pendant que tu te calmes, je continue à te raconter."(5)

Si, lors de notre deuxième rencontre (6), David ne manifesta aucun signe d'impatience face à mon peu de maîtrise de la syntaxe espagnole et ma piètre prononciation, je ne le dois qu'à sa bonne éducation car il aurait légitimement pu se fatiguer rapidement de m'écouter parler encore plus mal que n'importe quel enfant de son pays. 
Avant de le quitter, j'aurais voulu lui dire que j'étais en train de lire, sans tant de difficultés et avec grand plaisir, un autre livre de Ricardo Piglia. Mais je pensai qu'il était raisonnable d'espérer avoir gagné en assurance dans sa langue si, un autre jour, j'avais la chance de le revoir plutôt que d'en être réduite à lui confesser en bredouillant mon identification totale avec un des personnages cités dans le livre. 

"Quand j'étais étudiant et que je vivais à La Plata, je gagnais ma vie en enseignant l'espagnol à des gens de droite tchèques, polonais et croates que l'avancée de l'histoire avait expulsés de leurs territoires. 
Le Congrès pour la Liberté de la Culture, une organisation de soutien aux anticommunistes de l'Europe de l'est, les protégeait et faisait ce qu'il pouvait pour les aider. A La Plata, ils avaient passé un accord avec l'université et embauché des étudiants en littérature pour leur enseigner un peu de grammaire espagnole. Je connus beaucoup de cas pathétiques, pendant ces années, mais aucune histoire aussi triste que celle de Lazlo Malamüd. Il avait été un critique célèbre et professeur de littérature à l'université de Budapest et c'était le plus grand expert de l'Europe centrale de l'oeuvre de José Hernandez. 
Il lisait correctement l'espagnol mais il ne pouvait pas le parler. Il connaissait le Martín Ferrio par coeur et cela constituait son vocabulaire de base. Il était venu là avec l'espoir d'obtenir un poste à l'université et, pour cela, il devait seulement être capable d'enseigner en espagnol. On lui avait demandé de prononcer une conférence à la Faculté des Humanités où était Hector Azeves et de cette conférence dépendait son avenir. La date approchait et il était paralysé de terreur. 
L'université me payait dix pesos par mois et je devais apporter une espèce de liste avec la signature de Malamüd qui garantissait sa présence. Je le voyais trois fois par semaine. Il parlait avec moi une langue imaginaire, pleine de r gutturaux et d'interjections gauchistes. Comme il pouvait, il essayait de m'expliquer le désespoir que cela lui provoquait de se voir condamné à s'exprimer comme un enfant de trois ans. L'imminence de la conférence le plongeait dans une telle panique qu'il ne parvenait pas à avancer plus loin que les verbes de la première conjugaison."(7)

J'ai traduit librement tous les extraits cités. 
De Lección pasada de moda. Letras de lengua de Javier Marías, de Los insignes de David Pérez Vega ainsi que de La ciudad ausente de Ricardo Piglia. 
 (1)
"A l'heure d'étudier la littérature, je crois que ce dont il y a à parler est le texte et rien de plus que le texte. Qu'on ait, ensuite, une information sur qui l'a écrit et que cela puisse nous aider à mieux comprendre le texte, c'est bien mais que cette information externe au texte soit ce qui motive à l'étudier, cela me parait de la folie et, cependant, cela se passe de plus en plus. Ceci, c'est de la sociologie, pas de la littérature. A la fin, ce qu'on étudie, ce sont les textes : on n'étudie pas les biographies. Que je sache, il n'existe pas encore de licence en biographie littéraire.
Il y a des lecteurs qui m'écrivent qu'un ou plusieurs de mes livres leur ont plu et que c'est pourquoi ils aimeraient beaucoup me connaître. J'ai du mal à voir la relation entre ces deux choses. Si quelqu'un a beaucoup aimé un livre, je ne vois pas ce que peut lui apporter le désir de connaitre la personne qui l'a écrit. Parfois, s'il me semble que la personne est très aimable et qu'elle mérite une réponse, je lui réponds quelque chose comme : que je sois ici en chair et en os est un accident passager qui sera résolu. Aujourd'hui, il n'arrive à personne de dire, en lisant Madame Bovary ou Bouvard et Pécuchet, qu'il aimerait connaître Flaubert parce que Flaubert n'est pas ici en chair et en os et que cela n'importe à personne qu'il le soit ou pas. L'écrivain est l'encre et le papier : qu'il soit de chair et d'os pendant un moment est un pur accident et temporaire, en plus."

(2) 

"Que tu aimes le pâté ne signifie pas que tu veuilles connaître le canard"

(3)
"Al principio creí, como comprenderás, Kim Jong-un, que todo esto era una broma. No podía ser, simplemente, que me estuviese escribiendo un email el nuevo presidente de Corea del Norte -el casi último representante del sueño de igualdad entre los hombres, el azote del capitalismo salvaje-, y que se expresara en un español más que correcto."

(4)
"Caer de un burro… ¿no conoces la expresión, Kim Jong-un? Sí, disculpa, es que en ocasiones me acelero y como veo que hablas muy bien y que pareces entenderlo todo, no me doy cuenta de que debería hablar más despacio y cuidar mis expresiones. "Poner a caer de un burro" significa poner a parir, criticar duramente…"

(5)
"¿Ni un verso dedicarías a ese pego? ¿Cómo? ¡Ah, perro! Cuando te enfadas pronuncias peor la erre doble… Bueno, venga, no te sulfures, por favor, que no era mi intención… Bebe un poco del vaso de zumo y mientras te calmas te sigo contando."

(6)
En compagnie de sa charmante fiancée, lors d'un dîner madrilène que je vécus comme un bon moment pendant qu'à eux deux, il dut paraître très laborieux. 

(7)
Cuando era estudiante y vivía en La Plata, me ganaba la vida enseñando español a los derechistas checos, polacos y croatas a los que el avance de la historia estaba expulsando de sus territorios. (…) El Congreso por la Libertad de la Cultura, une organización de apoyo a los anticomunistas de Europa del Este, los protegía y hacía lo que podía por ayudarlos. En La Plata habían hecho un acuerdo con la universidad y contrataban a estudiantes de literatura para enseñarles un poco de gramática española. Conocí muchos casos patéticos en esos años, pero ninguna historia tan triste como la de Lazlo Malamüd. Había sido un crítico famoso y profesor de literatura en la Universidad de Budapest y era el mayor experto centroeuropeo en la obra de José Hernandez. 
(…) Leía correctamente el español, pero no podía hablarlo. Se sabía el Martín Ferrio de memoria y ése era su vocabulario básico. Había venido acá con la ilusíon de conseguir un cargo en la universidad y para obtenerlo sólo tenía que ser capaz de enseñar en español. Le habían pedido que dictara una conferencia en la Facultad de Humanidades, donde estaba Héctor Azeves, y de esa conferencia dependía su futuro. La fecha se acercaba y estaba paralizado de terror. 
(…) La universidad me pagaba diez pesos por mes y yo tenía que llevar una especie de planilla con la firma de Malamüd garantizando la asistencia. Lo veía tres veces por semana. Hablaba conmigo en un idioma imaginario, lleno de erres guturales y de interjecciones gauchescas. A media lengua trataba de explicarme la desesperación que le producía verse condenado a expresarse como un chico de tres años. La inminencia de la conferencia lo tenía sumido en tal pánico, que no lograba avanzar más allá de los verbos de la primera conjugación. 

mercredi 17 février 2016

"Comment passe-t-on de Bruxelles à Majorque ?",

me demanda Christine que j'avais vue là-bas, la dernière fois. 
C'est, en tout cas, en passant quatre heures avec elle à Palma, à parler de Lille, de Paris, de Cuba, de la Guadeloupe, des Canaries, de Batz, de Bray Dunes... que je me suis progressivement sentie revenir sur l'île. 
Comme si le vol, le voyage de la veille, n'avaient été qu'un simulacre de retour. 
Comme si j'avais encore été ailleurs. Ailleurs mais, surtout, nulle part. 

mardi 16 février 2016

Tuesday self portrait

On appellera donc vie la capacité de conserver et de produire des images. 
Emanuele Coccia. La Vie sensible

lundi 15 février 2016

Vol retour (fragments d'insularité)

alors que
les autres jours
tous les jours
sont juste des jours
la mélancolie qui me saisit hier dans la soirée
l'étranger que me parut être le verbe rentrer
le blues en somme
me rappela ah oui c'est vrai ! que nous étions dimanche


dimanche 14 février 2016

Les belles plantes

Un jour que j'habitais à Lisbonne, tu vins m'y rendre visite. 
Alors que nous attendions le métro, à la station de l'aéroport où j'étais allée t'attendre, tu me tendis le cadeau que tu m'avais apporté. 
Sur la feuille de Canson A4, tu avais dessiné un moment d'attente, pendant ton escale à Madrid. 
Maintenant, quand je vois les plantes d'aéroport, je sais qu'elles ont cela en commun avec moi : avoir posé, pour toi. 


samedi 13 février 2016

Défaut d'abstraction

Ils disent que cela leur arrive de ne pas savoir où ils s'éveillent. 
Parfois dans leur lit. Parfois dans un autre lit que le leur. Parfois à l'autre bout du monde. Parfois tout près de chez eux sur un ponton au-dessus de la mer. 
Ils disent qu'ils s'éveillent et qu'il leur faut un moment pour réaliser qu'ils sont dans leur lit, dans un autre lit que le leur, à l'autre bout du monde, près de chez eux : ah oui, ce que je sens est le bois du ponton, ce que j'entends est la mer. 
Ils disent mais à toi, ça n'arrive pas ? 
A moi non, jamais. 
J'aimerais mais jamais. 

vendredi 12 février 2016

Le cabinet des rêves 266

Je suis en cours de langue. 
Il y a beaucoup d'étudiants, je suis loin du premier rang. 
Il y a plusieurs profs qui font cours, tour à tour. 
Quand arrive celui de l'un d'entre eux, il se met à parler en allemand, à poser des questions dans cette langue, auxquelles, bien sûr, ne répondent que les germanophones. 
Je comprends que, par l'exemple, il essaie de faire comprendre à l'ensemble de la classe de quoi il est question mais je prends la parole à voix haute et en français pour manifester mon indignation : on n'est pas en train d'apprendre l'espagnol en allemand ! 

Rêve du 30 décembre 2015

jeudi 11 février 2016

La vie réelle



La vie est minuscule au rez-de-chaussée du musée Thyssen. Un téléphone, la tablette d'un lavabo, une fenêtre ouverte, un poisson qu'on cuisinera plus tard… ce que sont les lieux quand on les laisse seuls. 
La vie sans nous est réaliste. 

mercredi 10 février 2016

Livre d'absences

On écrit beaucoup, trop, tant de livres et tant de gens et, cependant, comme peu de livres trouvent leur propriétaire, que peu de propriétaires trouvent leur livre. Ceci est le plus surprenant des grotesques listes de ventes; il semble impossible de croire que tant de maladies différentes nécessitent le même remède. Il se vend cent mille exemplaires de ce fameux Da Vinci code ou cet autre, quel qu'il soit. C'est étrange mais il semble plus facile de vendre cent mille livres identiques que cent mille livres différents. Ceci, n'importe quel libraire le sait. Et, cependant, malgré la popularité d'un antidote, il n'est pas possible que nous portions en nous le même poison. En-dessous de ces livres, qui sont sûrement très bien, il y a d'autres livres qui sont sûrement meilleurs. Comme si, en-dessous de ces pavés, il y avait la plage. Parfois, on a la tentation d'entrer dans une librairie et modifier la disposition de tous les exemplaires. Placer ceux d'au-dessus en dessous et ceux de la vitrine dans les coins. Mettre sur la table des best-sellers un antiroman hermétique de Beckett et, sur l'étagère de littérature irlandaise, les mémoires de Aznar et compagnie. Pousser Isabel Allende vers l'exil des guides touristiques pour voir si elle se tait, d'un coup. Mettre la main sur les étagères et sortir quelque chose d'inespéré; la littérature criminelle de Rubem Fonseca, par exemple. Ici, comme pour tant d'autres choses, la pudeur, cette forme humble de décence me retient. Et aussi le souvenir d'un vieux vendeur de la cuesta de Moyano, qui disait toujours : "ça m'est égal que tu achètes ou pas mais ne touche pas mes livres." 
Traduction libre d'un extrait* de  Días aún más extraños de Ray Loriga.
Je lui ai dit bonjour, je lui ai tendu le livre, l'argent, je lui ai dit non merci car je n'avais pas besoin de sac, j'ai souri poliment en réponse à son muy amable mais aimable, non, je ne l'avais pas été car il ne m'avait vraiment pas semblé l'être, lui. 
*Se escribe mucho, demasiado, tantos libros y tanta gente, y sin embargo qué pocos libros encuentran su dueño qué pocos dueños encuentran su libro. Eso es lo más sorprendente de las grotescas listas de ventas; resulta imposible creer que tantas enfermedades distintas necesiten el mismo remedio. Se venden cien mil ejemplares de este dichoso Código da Vinci o de aquel otro, el que sea. Es extraño, pero resulta más fácil vender cien mil libros iguales que cien mil libros distintos. Eso cualquier librero lo sabe. Y sin embargo, pese a la popularidad de un antídoto, no es posible que llevemos todos dentro el mismo veneno. Debajo de esos libros, que están muy bien seguramente, hay otros libros que seguramente están mejor. Como debajo de aquellos adoquines estaba la playa. A veces uno tiene la tentación de entrar en una librería y alterar la disposición de todos los ejemplares. Colocar los de arriba, abajo, y los del escaparate en los rincones. Poner en la mesa de bestsellers una hermética antinovela de Beckett y, en el estante de literatura irlandesa, las memorias de Aznar y compañía. Empujar a Isabel Allende al destierro de las guías turísticas, a ver si se calla de una vez. Meter la mano en las estanterías y sacar algo inesperado; la literatura criminal de Rubem Fonseca, por ejemplo. Aquí como en tantas otras cosas, el pudor, esa forma humilde de decencia, me detiene. También el recuerdo de un viejo vendedor de la cuesta de Moyano, que siempre nos decía : "Me da igual que compre o no, pero no me toque los libros."

mardi 9 février 2016

Tuesday self portrait


Ceux qui accusent les hommes d'aller toujours béant (a) après les choses futures, Et nous apprennent à nous saisir des biens présents, et nous rasseoir (b) en ceux-là, comme n'ayant aucune prise sur ce qui est à venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passé, touchent la plus commune des humaines erreurs : S'ils osent appeler erreur, chose à quoi nature même nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage : nous imprimant comme assez d'autres cette imagination fausse : plus jalouse de notre action que de notre science. Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà. La crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir : et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser (c) à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri anxius (d). Ce grand précepte est souvent allégué en Platon : Fais ton fait et te connais. Chacun de ses deux membres enveloppe généralement tout notre devoir : et semblablement enveloppe son compagnon. Qui aurait à faire son fait verrait que sa première leçon c'est connaître ce qu'il est et ce qui lui est propre. Et qui se connaît, ne prend plus l'étranger fait (e) pour le sien : s'aime et se cultive avant toute autre chose : refuse les occupations superflues et les pensées et propositions inutiles. Ut stultitia etsi adepta est quod concupivit nunquam se tamen satis consecutam putat : sic sapientia semper eo contenta est quod adent, neque eau unquam sui poenitet (f).

a. de désirer toujours avidement
b. nous fixer
c. occuper à 
d. "Malheureux est l'esprit obsédé par l'avenir"
e. le fait d'un autre
f. "Comme la folie quand on lui octroiera ce qu'elle désire, ne sera pas contente : aussi est la sagesse contente de ce qui est présent, ne se déplaît jamais de soi."(traduction donnée par Montaigne dans l'édition de 1595) 

Essais de Michel de Montaigne. Livre I, chapitre III Nos affections s'emportent au-delà de nous. 

lundi 8 février 2016

Belle île en terre (fragments d'insularité)

Au fil des ans, je suis de plus en plus convaincu non seulement que la Communauté de Madrid a besoin de son actuelle distinction mais aussi qu'elle est assurément la zone du pays la plus isolée, la plus conforme avec elle-même et ses limites mais aussi la plus incomprise. Elle se trouve si isolée au sens figuré que, même entourée de terre, elle partage le caractère des îles, du moins quelques traits. Elle est facile d'accès, certes, et, sans doute, regarde dehors, autour d'elle, elle ne reste pas indifférente à ce qui se passe au-delà de son entourage. Mais elle se caractérise par le fait d'attendre peu ou rien de l'extérieur, d'avoir conscience qu'elle doit se débrouiller seule en cas de problèmes, que personne ne viendra jamais à son secours ni ne compatira avec elle, qu'elle ne doit compter, en principe, que sur ses propres forces ou sa résistance.
Javier Marías. Vida del fantasma. (traduction libre)
Ainsi, pensant gagner la terre ferme, 
j'allai connaître une autre forme d'insularité. 

dimanche 7 février 2016

C'est à toi que je le dois,

mon moyen mnémotechnique 
le plus poétique
"Juillet comme Cortázar"

samedi 6 février 2016

Yo soy yo y mi circunstancia* (Ser ou estar, telle est la question)

Vous, oui vous. Vous qui parlez français, à qui il arrive de dire que la soupe est un peu trop chaude, que la soupe de votre mère est la meilleure de toutes, que vos enfants sont grands, qu'ils sont en colère contre l'injustice, vous qui dites du temps qu'il est particulièrement doux cet hiver, qu'il est variable au printemps, que votre chat est bien capricieux aujourd'hui !, enfin… les autres jours aussi !, enfin… pas autant que ça quand même !, qui dites de votre neveu qu'il est étudiant, de l'un de vos cousins qu'il est chômeur de longue durée, de votre ancien boulanger qu'il est retraité, de votre belle-soeur qu'elle est buraliste, vous qui dites que l'herbe est verte, qu'elle est plus verte chez le voisin, qu'elle est rudement verte à Wimbledon dis donc, on voit qu'il pleut souvent là-bas !, qui dites que vous êtes prêt, que vous êtes prêt à tout, que l'actualité est déprimante, que oui, merci, c'est tout ce qu'il vous faut...
Sachez qu'en espagnol, il existe deux verbes pour signifier être, que l'un -ser- exprime l'essence, la nature et que l'autre -estar- exprime davantage ce qui est circonstanciel.
Comprenez-vous pourquoi j'ai parfois l'impression de suivre des cours de philosophie plutôt que des cours de langue ?

*
("Je suis moi et ma circonstance")
José Ortega y Gasset

vendredi 5 février 2016

Le cabinet des rêves 265

Je suis couchée dans notre lit. 
M. est à la cuisine. 
Mon neveu R., qui a six ou sept ans, est assis à la tête du lit. 
A sa portée, j'ai répandu sur un mouchoir un peu des croquettes qui nous restent après le départ du petit blanc. 
Elles ont l'apparence et l'odeur de céréales au riz soufflé. 
Je dis à R. qu'il peut en manger mais pas trop, pour avoir encore faim à l'heure du repas. 
Il me répond que, en plus, il faut qu'il en reste pour le lendemain. 
Je réalise que j'ai complètement oublié que, cette fois-ci et exceptionnellement (ça a l'air normal qu'on le garde le vendredi), il reste chez nous deux jours. 
Je m'exclame Merde ! et je pense qu'il faut que je me dépêche de le dire à M. avant qu'il ne fasse des plans pour le week end. 

Rêve du 31 janvier 2016

jeudi 4 février 2016

Un cliché

Ce n'est pas seulement lorsqu'il s'agit d'adopter un accent que je suis si peu douée pour l'imitation : le pastiche m'est inaccessible. 
A regret, sans regret, je laisse les belles formules ou les clichés à leurs auteurs. 
Pourtant, à la vue du vigile dont le territoire de travail comporte une plage dont tous les guides s'accordent à dire qu'elle est spectaculaire, contemplant longuement le panorama, une phrase s'est imposée dans mon esprit, malgré sa platitude, malgré moi : Il embrasse le paysage du regard

mercredi 3 février 2016

Poème de table en version originale (sous-titrée*)


A fréquenter les cafés sans parler français, 
j'écris de la poésie minuscule en version originale.

Poema de mesa



Es después de la hora de merienda
que estoy sentada en la cafeteria
de la calle Blanquerna. 

Un café americano
un cigarillo. 

Llevo una ropa perfecta
para estar en terraza. 
Un jersey, una bufanda
-lo pregunto
a mi vecino :
"¿Como se llama esto?"
porque siempre me lo olvido-
y un poco de sol en la espalda. 

Girando la cabeza
noto que la silla
también lleva
su ropa de terraza.


*
C'est après l'heure du goûter
que je suis assise à la cafétéria
de la rue Blanquerna. 

Un café allongé
une cigarette. 

Je porte une tenue parfaite 
pour être en terrasse. 
Un pull, une écharpe 
-je le demande 
à mon voisin : 
"Comment on appelle cela ?"
car je l'oublie toujours. 

En tournant la tête
je m'aperçois que la chaise
porte également
sa tenue de terrasse. 

mardi 2 février 2016

Tuesday self portrait


La seule chose qui lui paraisse discutable, soit dit pour mieux poser ce genre de problème, c'est le choix du cheval comme objet d'analyse. A son modeste avis, le cheval, on devrait l'écarter sans regret pour plusieurs raisons. En premier lieu, le cheval est trop proche de l'homme, ce qui contamine le raisonnement de retombées anthropocentriques, sans compter que cette proximité du cheval et de l'homme a fait du pauvre animal le dépositaire de toutes sortes de projections symboliques à tel point qu'il est difficile de savoir, sous tant de couches de symboles, où se trouve le cheval véritable. Nous croyons, par ailleurs, connaître trop de choses sur le cheval - nous croyons qu'il est fort, qu'il est fidèle, qu'il est noble, qu'il est endurant, qu'il aime la pampa et que sa plus grande ambition est de gagner le prix du Jockey-club. Nous sommes convaincus que s'il militait en politique, il serait nationaliste et que s'il parlait, il le ferait comme les vieux gauchos pleins de sagesse. Pour finir -dit le Mathématicien qu'avait dit Bouton que disait Washington-, le cheval, de par sa position prééminente dans l'échelle zoologique, possède une densité biologique et ontologique excessive : il a trop de chair, trop de sang, trop d'os, trop de nerfs et malgré son regard fuyant, moins indiscret que celui de la vache, nous pouvons concevoir sa présence au monde comme non point exempte de nécessités, de telle sorte qu'on pourrait même admettre, peut-être par négligence métaphysique à laquelle bon nombre de penseurs ont déjà succombé, une catégorie existentielle qui englobât à la fois l'homme et le cheval -en un mot, et s'il a toujours bien compris, il faudrait appliquer ce qu'on voudrait dire à propos du cheval de Noca, qui n'est en définitive qu'un prétexte à discussion, à un autre être, mieux différencié de l'homme que le cheval, membre lui aussi d'une espèce vivante, évidemment, mais dont l'être, exigu bien qu'irréfutable, ne prêterait point tant à contestation. Par exemple, le moustique. 
Juan José Saer. Glose

lundi 1 février 2016

Souvenir de Paris (fragments d'insularité)

Puisque nous parlons d'exilés espagnols à Paris, je crois que le cas de Tomás Moll, un jeune orphelin cinglé qui avait fini par se transformer en véritable institution du Flore, peut mériter notre attention. Ayant hérité d'une grande fortune dans sa Majorque natale, le jeune Moll qui, du jour au lendemain, s'était retrouvé, à sa grande satisfaction suite à un accident, privé de toute sa famille, s'était aussitôt installé à Paris -il disait qu'il s'était exilé-, la ville de ses rêves. 
Il s'était installé ou exilé à Paris, cherchant à oublier les morts loqueteux et malpropres qu'il laissait dans son sillage (sa famille majorquine était très décadente, ce qui ne donne pas toujours, tant s'en faut, un brevet d'élégance) et y mener une vie de dandy ou de flâneur, deux façons de vivre impraticables dans son assommante ville de Palma de Majorque. 
Enrique Vila-Matas. Paris ne finit jamais
De même que j'ai cessé de manger du ragoût de mouton, des pains aux raisins, de la galette des rois, des steaks tartares, de l'osso bucco, de la glace au yaourt, des daifuku mochis, des carrot cakes, des entrecôtes, du poulet à l'orange, du poulet tandori, du lapin au café, du lapin à la bière, des carbonades, des merguez, des chaussons aux pommes, des boulettes de viande, du fromage, du fromage de chèvre en feuille de brick, du boeuf au miel, du boeuf à l'orange, de l'irish stew, des poivrons marinés au miel et à la fêta, des pâtes au fromage, du gratin de macaronis, du pain de viande, du porc braisé à l'abricot, du porc à la figue, du gâteau au citron et au  miel, des scones au fromage, des petits choux au fromage, du fromage blanc, de la tarte au sucre, de la tarte au citron, de la tarte aux fraises, des sorbets aux fruits, du couscous royal, du cheesecake, des frites, des……………. parce que je préfère à la réalité le souvenir que j'en ai, je n'éprouve plus l'envie d'être à Paris.