mercredi 10 février 2016

Livre d'absences

On écrit beaucoup, trop, tant de livres et tant de gens et, cependant, comme peu de livres trouvent leur propriétaire, que peu de propriétaires trouvent leur livre. Ceci est le plus surprenant des grotesques listes de ventes; il semble impossible de croire que tant de maladies différentes nécessitent le même remède. Il se vend cent mille exemplaires de ce fameux Da Vinci code ou cet autre, quel qu'il soit. C'est étrange mais il semble plus facile de vendre cent mille livres identiques que cent mille livres différents. Ceci, n'importe quel libraire le sait. Et, cependant, malgré la popularité d'un antidote, il n'est pas possible que nous portions en nous le même poison. En-dessous de ces livres, qui sont sûrement très bien, il y a d'autres livres qui sont sûrement meilleurs. Comme si, en-dessous de ces pavés, il y avait la plage. Parfois, on a la tentation d'entrer dans une librairie et modifier la disposition de tous les exemplaires. Placer ceux d'au-dessus en dessous et ceux de la vitrine dans les coins. Mettre sur la table des best-sellers un antiroman hermétique de Beckett et, sur l'étagère de littérature irlandaise, les mémoires de Aznar et compagnie. Pousser Isabel Allende vers l'exil des guides touristiques pour voir si elle se tait, d'un coup. Mettre la main sur les étagères et sortir quelque chose d'inespéré; la littérature criminelle de Rubem Fonseca, par exemple. Ici, comme pour tant d'autres choses, la pudeur, cette forme humble de décence me retient. Et aussi le souvenir d'un vieux vendeur de la cuesta de Moyano, qui disait toujours : "ça m'est égal que tu achètes ou pas mais ne touche pas mes livres." 
Traduction libre d'un extrait* de  Días aún más extraños de Ray Loriga.
Je lui ai dit bonjour, je lui ai tendu le livre, l'argent, je lui ai dit non merci car je n'avais pas besoin de sac, j'ai souri poliment en réponse à son muy amable mais aimable, non, je ne l'avais pas été car il ne m'avait vraiment pas semblé l'être, lui. 
*Se escribe mucho, demasiado, tantos libros y tanta gente, y sin embargo qué pocos libros encuentran su dueño qué pocos dueños encuentran su libro. Eso es lo más sorprendente de las grotescas listas de ventas; resulta imposible creer que tantas enfermedades distintas necesiten el mismo remedio. Se venden cien mil ejemplares de este dichoso Código da Vinci o de aquel otro, el que sea. Es extraño, pero resulta más fácil vender cien mil libros iguales que cien mil libros distintos. Eso cualquier librero lo sabe. Y sin embargo, pese a la popularidad de un antídoto, no es posible que llevemos todos dentro el mismo veneno. Debajo de esos libros, que están muy bien seguramente, hay otros libros que seguramente están mejor. Como debajo de aquellos adoquines estaba la playa. A veces uno tiene la tentación de entrar en una librería y alterar la disposición de todos los ejemplares. Colocar los de arriba, abajo, y los del escaparate en los rincones. Poner en la mesa de bestsellers una hermética antinovela de Beckett y, en el estante de literatura irlandesa, las memorias de Aznar y compañía. Empujar a Isabel Allende al destierro de las guías turísticas, a ver si se calla de una vez. Meter la mano en las estanterías y sacar algo inesperado; la literatura criminal de Rubem Fonseca, por ejemplo. Aquí como en tantas otras cosas, el pudor, esa forma humilde de decencia, me detiene. También el recuerdo de un viejo vendedor de la cuesta de Moyano, que siempre nos decía : "Me da igual que compre o no, pero no me toque los libros."

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