lundi 11 avril 2016

Sur un air de Raymond Queneau* (fragments d'insularité)



Un jour vers midi, au sous-sol de la bibliothèque Can Sales, devant la section philosophie, une femme aux cheveux paille qui sentait le tabac me bouscula sans s'excuser en s'approchant des étagères. Elle brandit tout à coup en ma direction un papier portant une cote qu'elle ne parvenait pas à trouver. Je l'accompagnai jusqu'au rayon correct qu'elle quitta rapidement et les mains vides pour retourner au premier étage. 
Quatre heures plus tard, je la revis à une terrasse, en grande conversation avec une jeune fille brune qui aurait pu être sa fille. Elle serrait à deux mains l'échancrure de sa veste contre elle pour tenter de se réchauffer. 
*Un jour vers midi du côté du parc Monceau, sur la plate-forme arrière d'un autobus à peu près complet de la ligne S (aujourd'hui 84), j'aperçus un personnage au cou fort long qui portait un feutre mou entouré d'un galon tressé au lieu de ruban. Cet individu interpella tout à coup son voisin en prétendant que celui-ci faisait exprès de lui marcher sur les pieds chaque fois qu'il montait ou descendait des voyageurs. Il abandonna d'ailleurs rapidement la discussion pour se jeter sur une place devenue libre. Deux heures plus tard, je le revis devant la gare Saint-Lazare en grande conversation avec un ami qui lui conseillait de diminuer l'échancrure de sonpardessus en en faisant remonter le bouton supérieur par quelque tailleur compétent.
Raymond Queneau. Exercices de style.  

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